mardi 5 mai 2015

Hey Guillaume ! (Lettre à un ami)

Hey Guillaume !
Te souviens-tu de ce jour ?
On était en cours d’anglais. En terminale. La prof s’appelait Mme Bonaldi, c’était la cousine de Jérôme Bonaldi, le gars de la télé.
J’étais assise à ta droite et de l’autre côté, à gauche, il y’avait ton meilleur copain. J’ai oublié son nom, mais il avait un nez particulier. Bref. La prof nous donne un exercice : décrire quelqu’un de la classe.
Ça tombe sur toi. Et là, tu commences ta description : Un homme. Grand. On a déjà éliminé les ¾ de la classe. Un gros nez… Malaise, ton voisin se sent visé. Tu poursuis : Grand nez, moche, qui fait peur… Ton voisin est rouge pivoine, il se décompose. Et moi j’hallucine. Je me dis « c’est pas possible. Il ne parlerait jamais comme ça de son copain ». Je ne capte rien. Personne ne capte. Et comme personne ne trouve qui tu décris la prof te demande de donner la réponse.
La classe est tendue. Ton voisin est affalé sur sa table, la tête cachée sous ses bras. Et toi, nature, tu réponds « bin, éléphant man ! » On se regarde tous stupéfaits. Le doigt tendu, tu précises « Là, sur l’affiche, derrière la porte ! » Soulagement. Tout le monde te félicite d’avoir eu cette idée, à laquelle aucun de nous n’aurait pensé. A côté de toi, ton copain se redresse, il fait semblant de rien mais il est cramoisi. Il te félicite à son tour.
As-tu seulement remarqué le malaise que tu avais involontairement créé ce jour-là ?
Plus que le foot solitaire, rue Louis Moreau, plus que les debriefs des matches de l’OM et les parties de rigolade, c’est cet épisode qui te définit le mieux. Nature.
C’était en 1994. Cette année-là, le 1er mai, la Williams d’Ayrton Senna quittait violemment la piste. Quelques heures plus tard on apprenait la mort du pilote. C’était le drame people de l’année. On en avait parlé, tu t’en souviens ?
Et puis tu as eu ton bac et tu as intégré une école d’ingénieurs. Moi, je suis restée au lycée, pour repasser le mien. C’était en 1995 !
Y’a 20 ans ! Putain… 20 ans…
Cette année-là, il y’avait un intello dans ma classe, J.-B., un philosophe. Un jour, il m’a dit :
« il y’a trois choses qui comptent dans la vie : le premier mariage, le premier bébé et la première mort, d’un ami de ton âge. Ce sont trois étapes décisives. »
Bin tu sais quoi ? Il avait raison.
Quelques semaines plus tard, ma copine Céline m’annonçait qu’elle était enceinte (son bébé est né après le bac). 1e baffe. En février, j’assistais à son mariage. 2e baffe.
Et en mai, le 1er, c’est toi qui mourrais. Le premier. Dans un accident de voiture.
Un accident de voiture… quelle ironie, t’avais même pas le permis…
Mais sois rassuré, on va bien. Tous. Bien sûr au départ ça n’a pas été facile, mais tu vois en 20 ans le temps a fait son travail. Ton départ nous a fait grandir. On a pris conscience, un peu brutalement certes, que l’homme est mortel et c’est pas la meilleure des nouvelles, mais on s’y fait. Pas le choix. J’espère que d’où tu es, tu jettes un œil sur nous de temps en temps et qu’on te fait encore marrer.
 
Andréa, 20 ans de plus
 
En Post Scriptum, les derniers mots d’Ayrton Senna, juste parce que leur côté « visionnaire » me bouleverse :
« Before the beginning, a special hello to my... our dear friend Alain. We all miss you Alain ! »

1 commentaire:

  1. Pfiouuuuuu.... La citation qui tue à la fin, j'ai failli pleurer !

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